Victor Hugo randonneur en Luxembourg

Les Amis de la Maison de Victor Hugo à Vianden félicitent les responsables du sentier Victor-Hugo redessiné, qui conduit les promeneurs intrépides d’Ettelbruck à Vianden en passant par Erpeldange. Le poète romantique, randonneur dans l’âme et grand amateur de nature sauvage, eût apprécié ce tracé qui fait découvrir les vallées de la Sûre et de l’Our serties dans un cadre de rochers souvent à pic et de verdure hercynienne. Il a découvert nos Ardennes trois fois comme touriste pendant son exil pour de brefs séjours de deux à trois jours au plus en 1862, 1863 et 1865, et comme réfugié politique pendant un séjour de deux mois et demi en 1871. Il connaissait vraiment bien Vianden et ses environs, avait visité aussi Brandenbourg, Bourscheid, Esch-sur-Sûre et Falkenstein, mais il n’est pas passé par Erpeldange, trop à l’écart et ne possédant de toute façon pas de burg médiéval qui aurait pu le fasciner, car il admirait l’insertion de ces hautaines bâtisses aristocratiques dans un décor austère de schiste, de chênes, de ronces et de lierre.

Grâce à certains de ses textes, on peut imaginer ce qu’il aurait pu dire de ce sentier pédestre qui porte son nom. Ainsi, le 7 août 1862, il écrivit de Vianden à sa femme Adèle restée à Guernesey : « Tout ce que nous voyons est superbe, les Ardennes sont un enchantement. » De son côté, son ami et confrère Paul Meurice, qui allait l’accompagner durant ce premier voyage, lui avait écrit en juillet 1862, avec une allusion à un célèbre dramaturge anglais auquel Hugo allait consacrer un livre en 1864 : « Accepté avec délire les Ardennes. Se promener dans une forêt de Shakespeare, ceci est assez gai. Nous parlerons de Jean Valjean et de Jacques le mélancolique, les biches vous reconnaîtront pour le duc exilé et nous prendrons comme mot d’ordre : Comme il vous plaira. »

En 1865, Victor Hugo consigne dans son carnet que ses proches et lui reviennent d’une excursion de Bourscheid à Vianden en char-à-bancs, « par d’assez rudes chemins de traverse », au point que sa compagne Juliette Drouet fut « très souffrante des ascensions, des montées et des vertiges »: on voit que le tourisme de l’époque, même sous sa forme hippomobile, n’était pas de tout repos, pas plus que la promenade sur le sentier Victor-Hugo.

En 1871, le poète avait plus de temps à sa disposition pour les excursions. Il travaillait tôt le matin jusqu’au déjeuner, qu’il prenait à Vianden, puis c’était des randonnées en chariot à cheval, ou à pied. Voici quelques-uns de ses souvenirs. D’abord, en arrivant de Luxembourg à Ettelbruck en train, il signale qu’il y a eu en sa faveur des cris de « Vive la République » sur le quai de la gare. Et puis, une femme « fort belle » le regardait « avec une inexprimable douceur ». Pour lui, ce fut une « charmante apparition ». Le 17 juin, il relate une expédition en voiture à cheval de Vianden à Falkenstein, en Prusse rhénane : « Il y a une route neuve faite depuis deux ans à travers la montagne. Au point culminant de cette route, une tranchée coupée dans le roc ouvre passage sur une autre vallée qu’emplit un magnifique circuit de l’Our ». Comme souvent, ce qu’il admire, c’est le site comme paysage, en quelque sorte comme tableau naturel auquel l’homme ingénieux peut apporter sa contribution. L’été de 1871 était assez pourri et l’auteur des Misérables constate par exemple le 12 juillet : « Pluie. Promenade mouillée par le sentier de la colline à travers la forêt ». Mais il ne se plaint pas des intempéries qui, au contraire, présentent le cadre naturel sous un aspect poétique, parfois périlleux, car la voiture du poète manque de verser dans la Sûre gonflée par les orages d’été traversée à gué.

Le 10 août, excursion en voiture tirée par deux chevaux vers Falkenstein : « De là nous sommes allés sur le plateau voisin d’où l’on voit Vianden. Nous sommes allés à pied jusqu’au bord de l’escarpement. Vue splendide. Rien de plus grand. Cette immense ruine dans cet immense entassement, ce donjon dans ce tas de collines, c’est mélancolique et sauvage. Un pas de plus et l’on voit la ville au fond de la vallée, et la rivière. C’est plus pittoresque et moins sublime. Il n’y a plus de solitude. L’homme apparaît. Il semble que Dieu, qui emplissait tout, diminue. » La vue du paysage débouche, comme souvent chez ce contemplatif né, sur une vision philosophique. Ce villégiaturiste est un touriste qui ne se contente pas de spectacles futiles et superficiels, son regard va au fond des choses, il sait écouter les « voix intérieures ».

Victor Hugo possédait un vocabulaire de plusieurs dizaines de milliers de vocables, c’était un véritable maître de la parole magique, mais il ne connaissait pas encore un mot aujourd’hui très à la mode, le mot écologie ou l’adjectif écologique. Toutefois il pressentait cette notion devenue pour nous intouchable, cette obligation que nous font le bon sens et notre conscience de sauvegarder le cadre naturel avec sa faune et sa flore spécifiques. Dans un poème célèbre des Contemplations, il avait écrit : « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie / Parce qu’on les hait » : sa sympathie et son appui allaient viscéralement aux êtres rejetés, ostracisés, méprisés. Nombreuses sont les notices où, à Vianden, il exprime sa compassion pour des animaux que l’on écrase volontiers par dégoût ou par peur inconsciente, voire par méchanceté : araignée, couleuvre, renard, mais aussi colimaçons et hannetons.

Souhaitons que les touristes qui vont emprunter ce sentier Victor-Hugo restauré et nouvellement fléché témoignent à la nature et à ses splendeurs le même amour et le même respect que l’hôte le plus célèbre de Vianden leur réservait par instinct et par raison !

Note : Toutes les citations sont empruntées à Tony Bourg, Frank Wilhelm, Le Grand-Duché de Luxembourg dans les carnets de Victor Hugo, Luxembourg, RTL Éditions, [1985].

Bibliographie

  1. Tony Bourg, Frank Wilhelm, Le Grand-Duché de Luxembourg dans les carnets de Victor Hugo, Luxembourg, RTL Éditions, [1985].
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